Fromage persillé : le grand bleu
Le Bleu d’Auvergne est un fromage persillé remarquable par son homogénéité obtenue grâce à la poudre de Bleu. Mais comment est-on passé de la poudre artisanale de 1855 aux méthodes actuelles qui permettent d’obtenir un fromage persillé parfait ?
Auteur d’une remarquable monographie sur le Bleu d’Auvergne, Philippe Jouve nous en dit plus sur la genèse de la poudre de Bleu à l’origine du fromage persillé Bleu d’Auvergne.
En Auvergne, le fromage c’est une longue histoire…?
Très longue et très traditionnelle. Depuis toujours, le fromage se faisait à la ferme. C’était un moyen économique d’utiliser le lait sous une forme compacte et avec une bonne capacité de conservation. Le fromage persillé était un cas particulier essentiellement fabriqué à Roquefort dans l’Aveyron, mais également connu dans le Cantal. On était loin, alors, de parler du Bleu d’Auvergne tel qu’on le connaît aujourd’hui. Selon le savoir-faire de chacun, le fromage persillé était réussi ou non, mais toujours inégal. Chaque petite laiterie de village faisait ce qu’elle pouvait…
Et c’est là QU’APPARAÎT Antoine Roussel ?
On savait déjà empiriquement que le pain de seigle décomposé contenait une moisissure à l’état naturel. Ce n’est que lorsque Antoine Roussel mit au point sa poudre de Bleu à base de cette moisissure que la fabrication du Bleu d’Auvergne commença à déboucher sur un fromage persillé homogène. Toutes les nombreuses petites laiteries purent alors disposer d’une poudre de Bleu artisanale qu’elles fabriquaient sur place. Cette fois, le fromage persillé devint d’une qualité constante.
En somme, Antoine Roussel a fait parler la poudre !
Il y a de ça ! La guerre de 1914 – 1918 à peine terminée, des entreprises cantaliennes se mirent à fabriquer de la poudre… De Bleu !
Déjà favorablement connu, le Bleu d’Auvergne allait poursuivre la modernisation de la fabrication de sa pâte de fromage persillé. Cette fois, il s’agissait de pratiquer de manière plus systématique afin d’obtenir de grandes quantités de poudre propre à ensemencer le fromage persillé. Le pain très cuit était entreposé dans des caves humides à température constante (14 °C) durant trois mois. Lorsque les tourtes étaient complètement moisies, on en extrayait la mie qui était séchée au four pendant deux jours, puis broyée dans un moulin afin d’obtenir des grains de différentes grosseurs. La poudre ainsi obtenue était ensuite expédiée en sacs aux laiteries qui fabriquaient du fromage persillé. Il en alla ainsi jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle les occupants firent retirer les enseignes qui annonçaient « fabrique de poudre » !
Qu’en est-il aujourd’hui de la poudre de Bleu ?
Elle a été totalement abandonnée au profit de la culture exclusive de la moisissure qui la composait : le pénicillium Roqueforti. Pratiquement en même temps que l’obtention de l’appellation d’origine contrôlée, en 1975, le procédé évolua considérablement. Aujourd’hui, il n’est plus question de pain moisi ni de poudre à proprement parler. Le pénicillium Roqueforti, la moisissure à l’origine du fromage persillé, est désormais cultiver en laboratoire. Les graines de penicillium (ou les spores) sont ensuite mélangées avec de l’eau salée et proposées aux producteurs dans de petit flacon. On arrive ainsi à une dispersion optimale de l’ensemencement au sein du fromage persillé, tel le Bleu d’Auvergne, ce qui assure son homogénéité et sa qualité constante. Il existe toutes sortes de penicilliums qui font l’objet d’une « souchothèque » dans laquelle on peut choisir celle qui est la plus adaptée au fromage persillé souhaité.